read more on my work

STATEMENT

Julie Coulon explore par le biais de performances et d’installations monumentales les manières dont le cinéma influence la condition contemporaine. L’esthétique de ses projets, comme sa façon de les réaliser, est profondément marquée par le cinéma des années 1950-1970. Pour ses images photographiques, l’artiste travaille en argentique, garde le négatif à brut, et tire à la main. Les lieux qu’elle choisit ne sont pas anodins : elle cherche à s’ancrer, pour filmer comme pour montrer, dans ce qu’elle nomme ses “territoires de cinéma”. Les décors abandonnés des Western de Sergio Leone au fond de l’Espagne, les grands hangars qui abritent des tournages de films - à Paris comme à New York.

“Il faut que ça vive !”. Dans la lignée des happenings et de l’effervescence des plateaux de tournage, elle filme en direct chaque performance et transforme alors le lieu d’exposition en un espace où la création se donne à voir en même temps qu’elle se fait. Chaque espace devient à son tour territoire de mémoire physique et concrète, en écart avec les images qui en émergent. Un drive-in sans film à regarder où de vrais amoureux aujourd’hui viennent se glisser dans les sièges feutrés de cabriolets de collection ; des skateurs en métronome au cœur d’une église vieille de mille ans sur des airs d’italo-disco ; des boxeurs qui luttent et s’étreignent sous la nef d’une ancienne halle marchande.

Il y a dans ses narrations la confrontation entre le rêve d’amour et les défaites effectives, une tension constante entre les spectres d’une civilisation qui ne cesse de s’éteindre et d’un futur qui s’annule lentement. Un dernier round qui s’étire. Réminiscence de la thèse de Fukuyama : celle d’une fin de l’Histoire où, avec la promesse accomplie du présent, le futur se trouve peu à peu vidé de sa possibilité même. Réminiscence aussi de la hauntology de Mark Fisher : une temporalité hantée par des futurs impossibles, des possibles effacés qui continuent de hanter notre perception du réel.

Dès lors, le travail de l’artiste repose sur une dimension sociologique essentielle : dès le casting, par son parti-pris de travailler exclusivement sans comédien.nes professionnel.les. Ce qui importe pour Julie Coulon est autant ce qui émane des personnes choisies que ce qu’elles vivent : le punctum au sens de Barthes s’intègre à une perspective résolument contemporaine. En deux mots: les skateurs skateront ; les boxeurs boxeront ; les amoureux s’aimeront. Une économie de l’image bien connue de John Cassavetes, en héritage du leitmotiv de “Pull my daisy” de Robert Frank.

Avec ses installations vidéos et performances, l’artiste poursuit notamment une recherche de longue haleine sur la boxe. Le sport le plus filmé d’Hollywood dont l’évolution est intrinsèquement liée à son existence à l’écran. Du combat mythique de 1922 entre Battling Siki et Georges Carpentiers dont Christophe Grangé raconte les rouages dans son livre “Quinze Minutes sur le Ring”, jusqu’au très récent “The Smashing Machine”, de Benny Safdie : un miroir constant entre l’image et le combat. C’est que : de “Raging Bull” (Martin Scorsese) à “The Boxer” (Jim Sheridan) en passant par “Boxing Gym” (Frederick Wiseman) - la grande Histoire du cinéma comme de la boxe est, en substance, éminemment politique. Dans une démarche engagée de sublimer par l’évocation esthétique le réel, l’artiste témoigne son soutien auprès des sportif.ve.s avec lesquel.les elle collabore. Ainsi, la pluralité des profils que Julie Coulon fait se croiser dans ses projets a toute son importance, à la fois dans ses références, de Joyce Carol Oates à Selim Derkaoui, mais aussi sur le ring : elle sonde de nouvelles perspectives de mise en image.

Pour la scénographie, Julie Coulon réalise ensuite les structures de ses installations en bois pyrogravé à la main. Ces gravures, comme un écho - de geste et de symbole - aux images de corps tatoués, transmettent une monstration sensible . Les ressentis sont visibles sur les œuvres comme ils le sont à même la peau. La dimension textuelle de son travail convoque un rapport au temps croisé : des citations de Shakespeare, des refrains de chansons populaires, des prophéties de fortune cookies et des slogans publicitaires. Il y a dans la mise à niveau de ces références hétéroclites une philosophie empruntée au postmodernisme qui juxtapose les fragments de cultures différentes, révelant ainsi nos modes de perception et de mémoire collective.

Cette recherche de contraste et de confrontation est fondamentale dans son travail. A la fois au travers du geste, du choix des citations et des références, mais également par sa dimension scénique, permettant de rassembler, de réunir et de faire se croiser des foules qui ne seraient pas amenées à l’être sinon. Derrière ces images issues d’une iconographie résolument haute en couleur, l’artiste nous amène cependant à questionner l’image comme support d’espoir et d’époque. Que nous reste-t-il à espérer de demain ? Les choix esthétiques de l’artiste imposent alors leur puissance évocatrice. Il y a pour Julie Coulon une recherche anachronique visuelle en réponse directe à une quête de véracité actuelle et urgente.